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La valse à Mille-Temps des semi-conducteurs

Guillaume Dupuy d'Angeac • Feb 01, 2021

Le secteur des semi-conducteurs est cyclique, la partition et les tempos sont connus.

Les investissements lourds et graduels de l’offre sont toujours en déphasage par rapport aux deux grands pôles de la demande que sont les PC et les téléphones portables qui varient brutalement . Ces déphasages récurrents induisent des fortes fluctuations sur les prix.


Le cycle actuel se caractérise par une forte accélération du tempo due à l’apparition soudaine et non planifiée d’un nouveau pôle de demande du côté de l’automobile. Les retombées de la guerre technologie sino-américaine et une redistribution des cartes entre designers et fabricants de microprocesseurs complètent le tableau.


Un invité inattendu : l’automobile 


Lors de l’annonce des résultats de TSMC, le plus grand fabricant mondial de semi-conducteurs basé à Taiwan, son président CC Wei a souligné sa volonté d’aider la filière automobile à résoudre l’actuelle pénurie de semi-conducteurs. Cette pénurie est à l’origine de l’arrêt des chaînes de production qui frappe d’un seul coup le secteur, de Toyota à Audi en passant par Renault, Honda ou Nissan. Markus Duesman, Président de Audi, parle d’une pénurie massive qui va induire un déficit de production de 100000 modèles au premier trimestre pour l’ensemble du groupe Volkswagen et évoque une véritable « crise dans la crise ». 


Les semi-conducteurs, jusque-là pré carré des ordinateurs et des téléphones, se sont invités à tous les étages de la production automobile : des roues aux freins, sans oublier les sensors qui guident les manœuvres de parking et les systèmes de navigation. L’électrification se traduit par un triplement de la demande de semi-conducteurs par véhicule produit. Les progrès de la conduite autonome devraient renforcer cette tendance. 


Les investisseurs sont habitués aux cycles en montagne russes des semi-conducteurs. : la demande en volume croît tous les ans depuis un demi-siècle mais les prix vont et viennent selon l’étiage entre offre et demande. Rappeler que la pandémie de 2020 a été favorable à la technologie et aux semi-conducteurs tient du truisme. La montée en puissance de la 5G depuis l’été constitue le deuxième moteur de la fusée. Il était attendu. En revanche, la reprise de la demande automobile n’a pas ou peu été prise en compte. 


Sur le dernier trimestre 2020, TSMC indique une hausse des volumes de semi-conducteurs liés à l’automobile de 27%. Mais ceux-ci ne représentent que 3% du total, un poids marginal par rapport aux 51% des portables et aux 31% de l’informatique.


La mauvaise anticipation de la digitalisation de l’automobile constitue un électrochoc sur les prix. Les premières hausses de prix viennent d’être annoncées par le japonais Renesas Electronics, le néerlandais NXP et l’Allemand Infineon. Elles s’affichent entre +10 et +20% et ce n’est qu’un début.


Les foundry comme TSMC ou le Chinois SMIC auxquelles les fournisseurs de semi-conducteurs font appel quand ils sont débordés tournent déjà à plein régime et les délais de construction de nouvelles capacités sont longs. Pour les fabricants de semi-conducteurs comme NXP, Infineon, STM c’est la cerise sur un gâteau déjà bien fourni par la forte demande liée à la 5G. 


Guerres technologiques


Les semi-conducteurs se trouvent au même moment dans l’œil du cyclone avec la guerre technologique lancée par l’administration américaine contre la Chine. La mise à l’index des sociétés chinoises liées au secteur militaire frappe l’ensemble de la technologie.


Les fabricants de semi-conducteurs comme SMIC n’ont plus accès aux équipementiers américains comme AMAT et européens comme ASML. Efficaces à court-terme, les mesures américaines pourraient se révéler contre-productives sur le temps long en accélérant la mise à niveau technologique des Chinois.


Dans le passé et par vagues successives, le Japon, Taiwan et la Corée n’ont-ils pas rattrapé et souvent dépassé leurs modèles américains ? Le Japonais Tokyo Electron est ainsi devenu l’un des trois grands acteurs dans le club très sélect des SPE (Semi-conductor Producing Equipment), alors qu’il avait commencé il y a quarante ans comme un obscur agent d’importation et de négoce de composants électroniques américains.


De nombreux analystes estiment que les milliards actuellement injectés par l’état dans le secteur, couplés avec l’énorme demande domestique des BAT (Baidu, Alibaba, Tencent) et le vivier intélectuel des grandes universités devraient permettre à la Chine de se mettre à niveau dans les prochaines années. 


Réorganisation industrielle 


2020 a également vu les grands acteurs du secteur se réapproprier la conception de leurs microprocesseurs. Le duopole « wintel » bâti sur une entente cordiale et mutuellement profitable entre Intel et l’architecture Windows-Microsoft est remis en question. Apple a lancé sur sa dernière génération de Mac M1, une architecture maison qui combine des microprocesseurs de calcul, graphiques avec du software et, ce faisant, mis fin à sa collaboration historique avec Intel. 


Apple a clairement indiqué sa volonté de répliquer ce modèle pour ses iPhones, ce qui impactera négativement son fournisseur historique Qualcomm. Microsoft et Google semblent aller dans la même direction.


L’industrie se dirige donc vers un modèle à deux étages. En amont on trouvera les créateurs de microprocesseurs qui, à l’instar de Apple, les conçoivent en symbiose avec leur software, et un objectif de couple optimal entre rapidité et consommation de batterie. En aval, les fonderies comme TSMC, UMC ou SMIC exécuteront le cahier des charges en se concentrant sur la technologie manufacturière et la gestion des cycles massifs et croissants d’investissements du secteur. A titre d’exemple, les investissements annoncés par TSMC pour 2021 s’élèvent à 25-28 milliards de dollars, du jamais vu. Dans ce nouveau schéma, les fabricants généralistes comme Intel vont devoir se réinventer.


Redistribution des cartes 


Le secteur de l’automobile et celui prometteur de l’internet des objets (IOT) vont jouer un rôle croissant dans le demande de semi-conducteurs. A court terme, les spécialistes de semi-conducteurs pour l’automobile comme NXP, Infineon, STM ou Renesas vont bénéficier de la situation. A moyen terme, leur taille limitée les rend vulnérables par rapport aux mastodontes que sont TSMC ou Samsung Electric. La valse à mille temps va accélérer la consolidation. Les sociétés de niche de qualité vont devenir des cibles pour les gros. 


Des valorisations qui restent raisonnables 


« This time, it is different ». Le phénoménal rally de la technologie de 2020 rappelle la bulle internet et son célèbre slogan. Est-ce différent ? Nous ignorons la réponse. Ce que nous savons c’est que dans le cas précis des semi-conducteurs, la reprise du cycle haussier est récente et que la conjoncture va rester très favorable sur les 18 prochains mois. Enfin et surtout, les valorisations sont toujours raisonnables en absolu et très attractives en relatif par rapport au reste de la technologie. Les équipementiers comme ASML sont teneurs de prix et de technologie devraient bénéficier de la vague sans précédents d’investissement annoncée pour 2021. 

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