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Slackforce, la querelle des anciens et des modernes au pays du software

Guillaume Dupuy d'Angeac • Dec 14, 2020

L’acquisition de Slack par Salesforce marque la réouverture de la chasse dans le secteur du software.

Le prix payé, 45 milliards de dollars, soit un multiple de 28 (non pas des profits mais du chiffre d’affaire) peut sembler absurde. Tout dépendra des modalités de l’intégration de Slack et de son rôle futur dans l’organisation fusionnée.


Salesforce peut se contenter d’ajouter Slack à sa suite de produits et d’utiliser son atout maître, à savoir, comme son nom l’indique, sa force de vente, pour augmenter la diffusion de Slack. Dans ce cas le prix payé pour Slack est élevé.


L’alternative beaucoup plus disruptive est de positionner Slack au cœur de Salesforce et de l’utiliser comme modèle pour améliorer l’offre existante en la rendant plus intuitive et fluide pour ses utilisateurs. Slack jouerait le rôle de poisson pilote pour la gamme devenue dans l’intervalle un outil intégré, cohérent et incontournable de CRM et de travail collaboratif.


Dans ce scénario, l’acquisition de Slack se révélerait pour Salesforce, comme un coup de maître dans sa stratégie de croissance et sa course-poursuite avec Microsoft. 


Le secteur du Software termine une année folle marquée par une explosion des profits et encore plus des valorisations, et l’émergence de nouveaux acteurs aux noms souvent décalés comme Mongo DB, JFrog, Splunk, Crowdstrike ou Zscaler, qui rappellent plus l’univers de Star Wars que celui de l’informatique.Ces nouveaux arrivants, encore inconnus il y a peu, représentent aujourd’hui des capitalisations boursières qui se chiffrent en dizaines de milliards de Dollars.


La situation n’est pas sans rappeler la bulle de 2000. La grande différence est que l’internet, concept prometteur mais abstrait il y a vingt ans, est devenu d’abord une réalité, puis au cours des 9 derniers mois, l’essentiel de notre réalité à la fois dans le travail, les loisirs et les modes de consommation. 


Les mouvements observés sur les sociétés de software résultent de cette accélération. Individuellement, ils sont fréquemment excessifs, collectivement ils se justifient par une très forte adoption de leurs services et une explosion de leurs revenus.


Faisant suite à la grande accélération de 2020, 2021 s’annonce pour l’ensemble du secteur comme une année de digestion et de réorganisation avec, à la clé, de nombreuses opérations de fusion et acquisition. 


Les grands mâles dominants que sont Salesforce, Microsoft, Google et Adobe, ont connu dans l’absolu une année faste par rapport aux sociétés du monde ancien avec des hausses de leur cours entre 25 et 45%.


En revanche, la performance est moins brillante si on les étalonne par rapport à leur secteur. Certaines jeunes sociétés emblématiques comme Zoom, Docusign ou Twillio, ont vu leur cours de bourse tripler, voire quadrupler, et commencent à faire de l’ombre aux anciens. 


Slack est très représentative des recettes du succès des nouveaux arrivants : 


-    Créer un outil en ligne qui répond à un besoin précis où la technologie peut clairement améliorer et parfois transformer l’existant à bas coût.


-    Investir sur la facilité de prise en main et la fluidité d’utilisation de l’outil et créer un très haut niveau de satisfaction. 


-    Viraliser la diffusion par la base des utilisateurs-évangélisateurs.


-    Transformer ces millions d’utilisateurs gratuits en clients payants.


-    Une fois installé comme la solution incontournable et référente d’un problème, remonter en se faisant porter par la base des utilisateurs-évangélisateurs vers le sommet des grandes sociétés et des grandes administrations. 


Cette démarche séquencée paraît longue et compliquée. Dans la réalité, cela se passe très vite. Comme dans une réaction chimique bien préparée, toutes les étapes se commandent les unes les autres jusqu’à l’apparition de la viralité. Le rythme se ralentit quand on s’approche de la monétisation et de la négociation des grands contrats. 


Zoom, Slack ou Docusign font exactement le contraire de ce que font Microsoft, IBM ou Oracle. Au lieu de passer par le haut, ils passent par le bas. Au lieu d’être verticaux, ils sont horizontaux. Au lieu d’être performants mais compliqués, ils sont simples et agréables. Au lieu de s’adresser à une communauté d’experts en informatique, ils peuvent être pris en main par tout le monde. Dans ce contexte, la culture verticale et la stratégie produit des grands groupes intégrés apparaissent soudain datées par rapport à l’approche horizontale, et agile et centrée sur les utilisateurs des nouveaux entrants.


Dans le grand réchauffement digital en cours, ce sont les grands mammifères qui sont les plus à risque. Microsoft a gagné la première manche grâce à un coup de maître : Teams, enfant de Skype, pionnier de la viralisation horizontale et de l’expérience clients acheté en 2011, combiné avec de nombreux concepts piochés chez Slack. Teams intégré avec leur triple franchise historique World, Excel et Powerpoint .a réuni, en quelques mois, sous un même toit, 75 millions d’utilisateurs et a sérieusement menacé la position concurrentielle de Slack . 


Les autres grands acteurs du secteur comme Cisco ou Oracle ont regardé passer les plats. Ils semblent se réveiller, notamment Cisco, à l’affût dans le secteur du Cloud. Microsoft serait mal avisé de s’endormir sur les lauriers de Teams dont l’expérience utilisateur laisse à désirer. Avec les nouvelles architectures ouvertes, toutes les combinaisons sont possibles : on accède aux bons outils par toutes les plateformes, on trouve Zoom chez Slack et on peut échanger ou archiver des Google Docs sur Dropbox. 


Les anciens acteurs doivent acheter les nouvelles expertises produit et Cloud. Les nouveaux arrivants doivent s’allier pour passer de l’âge du décollage des revenus à celui de la profitabilité.


Les nouveaux riches comme Zoom, Servicenow ou Snowflake, seront tentés d’utiliser la devise de leur capitalisation pour acheter des relais de la croissance. Pour le moment, ils ont les moyens de ne pas être trop regardants sur les prix. 


Les cibles potentielles sont nombreuses : The Trade Desk, Hubspot, Mongo DB,Smartsheet ou Dropbox, pour en nommer quelques-unes. 


Les nouvelles alliances, pour fonctionner à plein régime, ne devront pas se contenter de simples objectifs commerciaux ou financiers mais prendre en compte les enjeux de culture et de design. Il leur faudra non plus privilégier les seuls cahiers des charges des directions IT des grands groupes mais la satisfaction des utilisateurs-évangélisateurs de la base. 


Les travailleurs post-covid, qu’ils soient développeurs, data analystes, experts en marketing ou généralistes, veulent être traités en consommateurs adultes. Ils ne veulent plus d’une informatique en silo, ils ont besoin d’une approche horizontale, ouverte et flexible avec les meilleures solutions pour travailler non seulement avec leurs collègues mais surtout rencontrer (en ligne) leurs fournisseurs, leurs clients, là où ils sont, c’est-à-dire sur leurs solutions informatiques : Zoom pour certains, Teams pour d’autres et souvent les deux en même temps.


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